Le requin égaré de Fouras



Le requin-tigre pêché en juillet 2007, par Jacques Viollet (à gauche). Le premier et le seul cas observé dans les eaux de l'Atlantique Nord à ce jour.

Imaginez donc, la gueule béante et pleine de dents d'un squale en Une du journal, accompagnée d'une légende précisant que cet animal au faciès effrayant vient d'être repêché en Charente-Maritime, tout près des plages de Fouras et de Châtelaillon. Au coeur de l'été, l'arrête aurait pu rester en travers de la gorge des professionnels du tourisme.

C'est ce qui faillit bien se produire en juillet 2007, quand un plaisancier réalisa la prise record de l'année, ridiculisant au passage les pêcheurs de silures : un requin-tigre long de 3,05 mètres de long et accusant un poids de 180 kilogrammes sur la balance. Mais la perspective de semer le trouble, voire une certaine panique, chez les paisibles vacanciers incita les autorités locales à garder une certaine réserve. L'information fut donc révélée, bien plus tard, dans le journal « Sud Ouest » daté du 5 janvier 2008. En hiver, il n'y avait plus grand risque d'effrayer les baigneurs innocents.




Cinq moins plus tôt, le 15 juillet pour être précis, Jacques Viollet n'imaginait pas sortir la communauté scientifique de sa torpeur estivale en embarquant, au petit matin, avec son fils dans son bateau semi-rigide. Ce retraité originaire de Fouras, retiré en Méditerranée et pêcheur amateur en Charente-Maritime durant les vacances, partit relever ses filets, posés à environ cinq kilomètres de la côte, comme chaque plaisancier en a le droit dans le cadre de la pêche maritime de loisir.

Dans une eau à 19°C, les deux hommes commencèrent à tirer les filets, dans l'espoir d'y voir frétiller un beau poisson. Ils ne furent pas déçus. « Quelque chose s'est mis à brasser l'eau. J'ai vu la queue d'un gros poisson, puis un aileron. J'ai compris que c'était un requin », racontait Jacques Viollet dans nos colonnes l'an dernier.

« Avec mon fils, j'ai alors fait passer une corde dessous pour l'accrocher au bateau, car on ne pouvait pas le ramener à bord. On l'a remorqué comme ça jusqu'à la côte, mais il s'est noyé en cours de route. Arrivés à la plage, on s'est mis à quatre pour le porter », confiait le pêcheur.

Invité à rester discret sur son aventure, Jacques Viollet prit toutefois contact avec des spécialistes pour connaître l'identité exacte du requin. Les mâchoires, la forme de la tête, la coloration de la peau, autant d'éléments qui permirent d'identifier un jeune requin-tigre. Un squale qui compte parmi les plus dangereux de la planète pour l'homme, dont la présence est pour le moins inhabituelle sur les côtes, et même dans les eaux de l'Atlantique Nord.

Un cas unique à ce jour

« Cette espèce est plutôt inféodée aux eaux plus chaudes. Ce n'est pas anormal d'en trouver ici, mais c'est très exceptionnel. En tout cas, jamais encore un requin-tigre n'avait été observé sur les côtes françaises (hors DOM-TOM). Jusque-là, ses apparitions se limitaient à l'Espagne, côté Méditerranée. Il y aurait eu un cas signalé en Islande au début du XIXe siècle, mais des doutes demeurent sur l'identification », expliquait à l'époque Éric Stéphan, administrateur de l'Association pour l'étude et la conservation des sélaciens (Apecs), basée à Brest.

Joint la semaine dernière, ce dernier confirmait le cas exceptionnel de l'individu découvert dans le Pertuis d'Antioche. « Depuis, il n'y a pas eu d'autre requin-tigre repéré sur nos côtes. Ce requin était donc probablement égaré. Nous avions pris contact avec le pêcheur pour en savoir plus, mais des éléments avaient déjà été envoyés au Muséum d'Histoire naturelle de Paris. Une brève a aussi été publiée dans les cahiers du Muséum d'Histoire naturelle de La Rochelle. Cette découverte n'a, en tout cas, pas donné lieu à de grands débats entre scientifiques. »

Le mangeur mangé

L'hypothèse du réchauffement climatique pouvant expliquer l'apparition d'espèces exotiques le long du littoral français est donc tombée à l'eau. Reste à savoir comment un jeune requin a pu s'égarer aussi loin de son habitat naturel.

Ce n'est pourtant pas la première fois qu'un pêcheur fourasin ramène à terre un squale peu familier des eaux limoneuses des pertuis charentais. Dans ses archives, la Société des sciences naturelles de la Charente-Maritime signale un requin blanc de 2,10 mètres, pêché le 24 mai 1977 au large de l'île d'Aix. Un autre grand blanc s'était même aventuré dans la rade de La Rochelle en 1821.

Jacques Viollet, en vacances à Fouras actuellement, ne veut plus s'étendre sur le sujet. Peut-être en raison du médiocre souvenir laissé par la chair du requin, découpé et consommé dans les jours qui suivirent par le pêcheur et ses proches. Cuisiné à toutes les sauces possibles, le mangeur d'hommes avait, paraît-il, « un goût horrible ».

Auteur : frédéric zabalza

1 commentaire:

  1. C'est très impressionnant ces especes, surtout avec les touristes...Imaginez vous !

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